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« Protéger l’épargnant ne veut pas dire le pousser à ne prendre aucun risque »

Importance d’un actionnariat individuel fort, développement du crowdfunding, contrôle des produits toxiques... Gérard Rameix explique le rôle et l’action de l’AMF sur ces différents dossiers.

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Gérard Rameix, Président de l'AMF
Publié le 22 janv. 2016 à 17:35
Gérard Rameix, Président de l’AMF

Quel bilan dressez-vous de 2015, à la fois pour les marchés et pour l’action de l’AMF ?

Avec 38 introductions en Bourse, plus de 5 milliards de capitaux levés, des augmentations de capital pour 9 milliards et un marché obligataire très dynamique avec des émissions de 178 milliards, l’année a été bonne pour la Place de Paris. On peut d’ailleurs voir dans le beau ­parcours boursier d’Euronext, l’entreprise de marché, et dans l’introduction réussie d’Amundi, le premier ­gestionnaire d’actifs français, des signaux positifs. Mais, en même temps, il ne faut pas ignorer les nombreux sujets d’inquiétude. On a rarement observé une telle combinaison de risques géopolitiques et macro­économiques, illustrés, d’ailleurs, par la forte volatilité qui règne sur les marchés depuis l’été dernier. Il ne faut pas négliger le risque de krach obligataire si le processus de remontée des taux aux Etats-Unis venait à déraper. Des fonds de ­gestion d’actifs très puissants se sont placés massivement sur les obligations avec l’idée que leurs placements étaient liquides à tout moment. Dans une situation de tension exceptionnelle, les choses ­pourraient se gripper. Au niveau de l’AMF nous restons particulièrement attentifs aux problèmes de transparence, de fonction­nement des marchés, et nous ­scrutons les risques en liaison avec nos homologues internationaux, en ­particulier européens.

Lors de vos vœux, vous avez insisté sur l’attitude des réseaux bancaires qui découragent sans doute trop les épargnants de se tourner vers les actions. Comment peut-on relancer en France l’actionnariat individuel ?

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Tout d’abord, il faut souligner que les épargnants qui ont fait le choix de prendre le risque action ont eu raison, ces dernières années. Ils ont profité de rendements histo­riquement élevés et d’une hausse des cours. Malgré cela, on constate toujours une forte aversion au risque chez les particuliers. Pourtant, l’épargne financière est ­abondante dans notre pays, et nous avons de grandes sociétés reconnues mondialement : la France a un nombre de grands groupes supérieur à son poids dans le PIB mondial. Il est dommage de ne pas avoir un actionnariat français plus important dans les groupes français. Je n’ai pas la martingale pour attirer davantage les épargnants français vers les actions. Il y a sûrement une composante fiscale à mettre en avant : il faut donner un ­avantage à l’épargne à risque. Par ailleurs, il faut tout faire pour que le grand public ait plus confiance dans une sphère financière qui paraît trop complexe, trop peu ­lisible. Protéger l’épargnant, qui est l’une des missions de l’AMF, ne veut pas dire le pousser à ne prendre aucun risque. Nous devons en tenir compte. Les banques ­doivent aussi l’intégrer. Les « enquêtes mystères » que nous avons pu mener montrent que les réseaux ne ­conseillent pas le placement en actions et proposent des produits très peu risqués à des clients qui ont tout à fait le profil pour s’intéresser au PEA, par exemple. Il faut ­arriver à un équilibre, ce qui n’est pas le cas ­actuellement.

Une des tendances récentes est l’émergence de grands groupes cotés à Paris, qui figurent dans le Cac 40, comme LafargeHolcim ou Nokia-Alcatel, mais qui n’ont plus leur siège en France. Quelles sont les implications pour le régulateur qu’est l’AMF ?

Cela rend effectivement la régulation un peu moins ­lisible, car les compétences sont alors partagées entre les pays. Si la société reste cotée en France, nous continuons de surveiller la qualité de l’information et la régularité des transactions. Mais, pour ce qui est de la ­gouvernance, du régime de rémunération, c’est la règle du siège social qui s’applique. En cas d’augmentation de capital et dans l’hypothèse d’une double cotation dans les deux pays, c’est également le régulateur du pays du siège social qui délivre son visa.

Comment l’AMF gère-t-elle le développement du crowdfunding et du crowdlending ? Comment surveiller ces nouveaux canaux d’investissement et éviter des escroqueries ?

Depuis 2014, nous agréons les plates-formes. Nous en avons agréé 6 en 2014 et 23 l’an dernier dans le domaine du crowdfunding (financement en fonds propres). De son côté, l’ACPR supervise les plates-formes de crowdlending (financement sous forme de prêts). L’AMF vérifie les compétences des promoteurs et des dirigeants de la ­plate-forme, l’absence de conflits d’intérêts, la présence de documents avertissant les clients des risques du produit. Nous exigeons aussi que plusieurs projets d’investissement soient proposés afin de permettre une diversification. Il y a deux risques principaux dans le système de crowdfunding : tout d’abord, un dysfonctionnement de la plate-forme ; ensuite, un risque sur la qualité du projet dans lequel il est proposé d’investir. Le particulier achète des actions ou des obligations de start-up, des sociétés jeunes et petites avec une absence de liquidité. Il y aura des succès et des échecs car c’est un ­produit plus risqué que les actions cotées. Il ­dispose d’un grand atout : la ­réac­tivité ­d’Internet, qui permet d’agir très vite. Il s’agit d’un nouveau type de placement séduisant, mais non exempt de risque. Pour l’instant, aucune affaire d’escroquerie dans ce domaine ne nous a été transmise.

L’an dernier, vous indiquiez travailler sur une réforme législative permettant d’interdire certaines publicités sur des produits extrêmement risqués, par exemple sur les devises. Le dossier a-t-il avancé ?

Oui., nous avons eu deux grandes satisfactions dans ce domaine. Tout d’abord, l’intervention de l’Esma, l’autorité européenne des marchés financiers, a permis de mobiliser l’« AMF chypriote », beaucoup de sites ­suspects, pratiquant des méthodes de vente très agressives, étant autorisés par Chypre. Le régulateur chypriote a donc infligé des sanctions pour un montant total d’environ 1 million d’euros à l’encontre de plusieurs sites pour non-respect des procédures. Au niveau national, nous avons obtenu, grâce à notre coopération avec le ­tribunal de grande instance, la fermeture de plusieurs sites irréguliers. Mais, le plus important, c’est qu’après plusieurs mois de discussions nous avons reçu l’accord des pouvoirs publics pour intégrer, dans un projet de loi à venir, l’interdiction en France de la publicité sur des ­produits que nous estimons dangereux. Nous espérons que cette loi sera votée au printemps. Dès lors, l’AMF aura la capacité juridique d’interdire la publicité pour les sites qu’elle juge dangereux. C’est une réelle avancée pour éviter que les particuliers se fassent piéger

Où en est-on de la mise en place des nouvelles directives européennes ?

La principale mesure à venir est Emir, qui, à partir du 21 juin prochain et de manière progressive, va faire passer certains produits dérivés sous le régime de la compensation obligatoire. Nous étions en retard sur les Etats-Unis dans ce domaine. La directive MIF 2 relative aux marchés d’instruments financiers pourrait voir son calendrier d’application reporté

Quelles sont vos relations avec Euronext ? La sanction de 5 millions infligée, en décembre, sur le trading haute fréquence a dû rendre la situation plus tendue...

Nos relations sont bonnes, et nous sommes très heureux qu’Euronext ait retrouvé son autonomie et dispose d’un noyau dur d’actionnaires. Cette entreprise sert de façon satisfaisante plusieurs places ­boursières de la zone euro. Il y a eu, effectivement, cette sanction. Elle a démontré notre capacité à intervenir lorsqu’un trader haute fréquence pratique une manipulation de cours. La commission des sanctions a estimé que l’entreprise de marché ne pouvait faire de discrimination entre ses membres et qu’elle était un rouage essentiel du maintien de l’intégrité du marché. Nous avons fait notre métier de façon professionnelle. Il est probable que les acteurs sanctionnés déposent un recours auprès du juge d’appel.

Propos recueillis par Rémi Le Bailly et François Monnier

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