Un homme en slip devant un chateau

Ces marques natives du digital qui ne doutent de rien et bousculent les grandes

Ce sont les DNVB ! Comprenez les Digital Native Vertical Brands. Sans complexe, elles s'attaquent à la cosmétique, la mode, ou la déco. Et ça marche. Décryptage.

Horace, Tediber, Le Slip Français, Bergamotteces marques sont toutes françaises, natives du digital, concentrées sur un produit ou une catégorie précis. Grâce à leur modèle verticalement intégré (elles réalisent elles-mêmes la conception, la fabrication et la commercialisation de leurs produits), elles éliminent tous les intermédiaires et entretiennent une relation directe avec leurs consommateurs. Toutes sont des succès entrepreneuriaux. En France comme aux États-Unis, elles transforment radicalement les secteurs d’activité sur lesquels elles s’implantent. Jusqu’à rendre obsolètes marques et distributeurs traditionnels ?

Le secret de réussite des marques DNVB (Digital Native Vertical Brands) : adresser des segments de marché mal desservis

Comme nombre de succès entrepreneuriaux, la marque de cosmétiques pour hommes Horace est née d’une frustration. Un jour, Marc Brillant-Terlet, cofondateur de la marque, ne réussit pas à racheter un produit qui lui fait défaut. Il s’agit d’un gel pour les cheveux formulé à base de composants naturels. Produit de niche, marque confidentielle… l’achat se révèle complexe, voire impossible. Passé la déconvenue, Marc réalise rapidement qu’en France le marché de la cosmétique pour homme est très polarisé : d’un côté les marques historiques « traditionnelles » distribuées en grande surface à un prix abordable, de l’autre côté les marques de niche distribuées dans leur propre réseau mais souvent à un prix très élevé. Aux États-Unis, à l’inverse, le marché fourmille d’alternatives, de marques situées sur un segment médian à l’instar de Goop ou Him, deux marques pour hommes millennials qui s’inspirent du succès phénoménal de leur pendant féminin Glossier. Formé en école de commerce et ancien du marketing de Vans France, il identifie rapidement une opportunité et forme le projet de créer « une marque de soins pour mecs qui ont envie de prendre soin d’eux, avec des produits efficaces, naturels et jolis, le tout à un prix abordable » . Il lance Horace en 2015 avec son ami Kim Mazzilli.

C’est également en observant le marché américain de la vente de matelas en ligne que Julien Sylvain a sa première intuition. Déjà entrepreneur à succès, notamment grâce à Lemon Curve une plate-forme de vente de lingerie en ligne, il pressent qu’il y a une réelle opportunité à importer ce modèle de vente directe et à l’appliquer au secteur du sommeil. Il s’associe donc à deux designers, Juan Pablo Naranjo et Jean-Christophe Orthlieb, et lance Tediber. La marque est l’une des pionnières en France sur ce marché. Elle promet un produit unique : un matelas « ferme et accueillant à la fois », et offre la possibilité de l’essayer gratuitement pendant 100 nuits avec assurance de remboursement si le matelas ne convainc pas. Depuis ses premières ventes en novembre 2015, le taux de retour n’est que de 5 %. Lorsqu’ils sont retournés, les matelas sont ensuite confiés à Emmaüs Défi qui se charge de leur faire retrouver une nouvelle vie. À la suite d’une levée de fonds de 1,8 million d’euros réalisée en mai 2016, la marque Tediber a pu accélérer son développement et recruter Aude du Colombier, ancienne directrice marketing de Google France. Pourtant, le pari était osé. Comme le souligne Julien Sylvain, le marché du matelas est complexe : « Rien ne ressemble plus à un matelas qu’un autre matelas, les écarts de prix sont très forts, souvent associés à une politique de promotion pensée pour déclencher l’achat mais qui brouille la compréhension du prix, et les produits sont décrits à grand renfort de jargon technique. » La marque opte néanmoins pour un choix audacieux : son produit est vendu exclusivement en ligne.

La communication des marques DNVB : les réseaux sociaux avant tout, et un dialogue permanent avec sa communauté

Contre-intuitif ? Pas à l’heure où les médias sociaux se font le relai de nouvelles formes d’influence. Car le succès de ces marques repose en grande partie sur une identité très travaillée ainsi que sur le soin mis à bâtir, à entretenir et à solliciter leurs communautés respectives. Et le bouche à oreille fonctionne.

Comme l’explique Marc Briant-Terlet : « Quand je demande aux clients comment ils ont connu la marque, la réponse est quasiment invariablement : par Instagram. » Quant à Tediber, si la marque bâtit désormais une grande partie de sa stratégie sur le hors-média (affichage dans le métro et publicité à la télévision), elle a d’abord construit sa stratégie en ligne.

Grâce à sa communauté, elle a pu créer un produit réellement adapté à un besoin et à un usage : « Nous avons demandé à notre communauté de tester le produit jusqu’à ce que l’on trouve le bon assemblage de matériaux. C’est vraiment là que nous plaçons tous nos efforts : nous voulons toujours nous mettre dans la peau du consommateur » , explique Julien Sylvain. Ce sont également les avis des consommateurs-testeurs qui ont permis à Tediber de développer l’oreiller de la marque : « Notre oreiller a beaucoup plus de plumes que la moyenne du marché car nos clients désiraient un produit plus ferme que les oreillers traditionnels. » Et d’ajouter : « Nous ne faisons pas de soldes, ni de promotions : nous garantissons à nos clients que leur matelas sera vendu au même – et juste – prix toute l’année. »

 

Quand je demande aux clients comment ils ont connu la marque, la réponse est quasiment invariablement : par Instagram.

 

Marc Briant-Terlet cofondateur de la marque de cosmétiques pour hommes Horace

Chez Horace, même son de cloche : l’équipe passe une part significative de son temps à échanger avec sa communauté via les plates-formes digitales (Messenger, Instagram, Twitter). Pour Marc, c’est cette proximité et ce contact permanent, direct, réel qui expliquent le succès de la marque : « Le fait d’être en contact direct avec nos clients nous permet de très bien les connaître et de codévelopper les produits avec eux. C’est vraiment un reality check. » L’envie de coller au plus près de la réalité des corps et des modes de vie guide aussi la stratégie de communication de la marque : « On fait des shootings avec des mecs de toutes les formes et tailles, on leur propose d’être une meilleure version d’eux-mêmes et pas uniquement joueur de foot ou pilote de formule 1. » Horace offre à sa communauté un modèle d’identification nouveau, plus en phase avec l’air du temps : « On a créé Horace parce qu’en tant que client beauté on aspire à une autre manière de consommer ces produits […] l’important c’est que n’importe quel mec puisse se reconnaître dans les produits, du plus novice au plus expert. »

 

Nous avons demandé à notre communauté de tester le produit jusqu’à ce que l’on trouve le bon assemblage de matériaux. C’est vraiment là que nous plaçons tous nos efforts : nous voulons toujours nous mettre dans la peau du consommateur.

 

Julien Sylvain, cofondateur de la marque de mattelas Tediber

 

 

Transparence et suppression des intermédiaires

Le modèle de distribution de ces marques digitales suit également ce principe de proximité et de relation directe : fini les intermédiaires, adieu les réseaux de distributions qui compliquent l’achat et pèsent sur les coûts.

Chez Tediber comme chez Horace, l’achat se fait en ligne et le service client se doit d’être irréprochable : « On connaît tous quelqu’un dont le colis s’est égaré en route, lorsque cela arrive, nous essayons de trouver une solution quasi immédiate », déclare Marc. Et Julien Sylvain abonde : « La bienveillance est une valeur clé chez nous, nous essayons de faire en sorte que les clients aient l’impression d’être valorisés, d’avoir vécu une expérience unique. C’est pourquoi nous livrons le jour même, dans toute l’Ile-de-France, et à vélo – pour des raisons écologiques et de rapidité. »

Nées et distribuées sur le digital, certaines de ces marques ont pourtant franchi le pas et ouvert des boutiques physiques, à l’image du Slip Français qui possède désormais huit emplacements, et prouve sa capacité à déployer son storytelling en dehors du digital. Tediber et Horace n’en sont pas encore à ce stade de leur développement. Julien Sylvain pointe néanmoins du doigt la réussite d’une expérimentation en cours : « Nous avons ouvert un showroom dans nos bureaux. Nous voulions que les gens puissent venir essayer le produit et nous rencontrer. C’est un succès, nous voyons défiler quinze à vingt personnes chaque jour ! » Marc Briant-Terlet envisage également d’ouvrir boutique un jour, mais à une condition : « Nous voulons prendre le temps de réfléchir à quelque chose qui aille plus loin que le simple espace de vente. Nous voulons un endroit qui représente vraiment la marque et qui soit expérientiel. »

En France comme aux États-Unis, le modèle fonctionne, et l’ascension de ces jeunes marques ne se mesure pas uniquement à leur nombre de followers sur les réseaux sociaux. Depuis quelques mois, les grands distributeurs semblent s’intéresser de près à ces concurrents d’un genre nouveau. Aux États-Unis, le géant Walmart a ainsi fait l’acquisition récente de la marque Bonobos, l’une des premières à avoir implanté ce modèle « DNVB » avec succès. Coût de la transaction ? Quelque 310 millions de dollars. Une broutille face au chiffre d’affaires global du mastodonte, mais la preuve s’il en fallait que marques et distributeurs traditionnels voient dans ce modèle une opportunité de transformation.

 


Ce texte est paru dans le hors-série “Benevolence” réalisé par L’ADN Studio en partenariat avec l’agence Change.


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Nastasia Hadjadji

Journaliste, Nastasia Hadjadji a débuté sa carrière comme pigiste pour la télévision et le web et couvre aujourd'hui les sujets en lien avec la nouvelle économie digitale et l'actualité des idées. Elle est diplômée de Sciences Po Bordeaux.
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